Je crois que l’on appelle ça être en état de choc. J’étais prostrée dans ce salon, je n’arrivais pas à bouger, ni même à respirer. Ma gorge cherchait en vain un peu d’air et émettait une sorte de hoquet. Mes yeux restaient fixés sur cette chose qui se tenait dans mes bras. Je voyais du sang. Partout. Le sang obstruait tout. Je ne comprenais pas ce qu’il était en train de se passer. Pourquoi y avait-il tant de sang ? Pourquoi je n’arrivais pas à bouger ? Qu’est ce qu’il s’était passé ? Enfin ma gorge se décoinça. Je n’avais pas recouvré l’usage de mon corps, absolument pas. J’avais juste regardé ce que je tenais dans mes bras. Un cri déchira le silence pesant de ma chambre. Je me suis redressée hors d’haleine. Des larmes coulaient le long de mes joues. J’ai passé mes mains dans mes cheveux avant de me lever pour rejoindre la salle de bain. Un rêve, ce n’était qu’un mauvais rêve. Seulement c’était le deuxième cette semaine. D’habitude j’étais tranquille pour un mois. C’était la deuxième fois en deux jours que je refaisais le même rêve, que je revivais le même moment. C’était trop réel pour être seulement un songe. Mais je n’arrivais pas à me rappeler. Et cette soudaine amnésie finirait par me rendre folle. J’avais perdue deux jours de ma vie. Deux jours dont je n’avais pas le moindre souvenir. Deux jours qui m’avaient été enlevé. J’étais parti en week-end chez Kostos. Il y avait seulement son frère chez lui. Le lundi matin, je me suis retrouvé à l’hôpital. Le frère de Kostos était mort, et je ne me souvenais de rien. J’étais arrivé chez lui, on avait diné et joué au scrabble tous ensemble et après. Plus rien. Le trou noir. Kostos soutenait qu’il ne se souvenait pas non plus. Je voyais bien qu’il me mentait, je ne pouvais supporter son silence. Cela faisait presque trois mois que nous n’étions plus ensemble. Trois mois durant lequel je n’ai eu de cesse de me rappeler. J’ai tout essayé, l’hypnose, la thérapie, je suis allé voir un médium, une voyante. Rien. Je me suis accroupie contre la porte de la salle de bain et j’ai posé ma tête contre mes genoux. Je n’en pouvais plus, j’étais à bout. Je ne dormais que très peu, j’étais devenu insipide, transparente. Je m’étais renfermée sur moi-même et ne parlait pratiquement plus aux autres. Il fallait que j’éclaircisse tout ça. J’en avais besoin. Non, c’était plus qu’une envie, un besoin. Aujourd’hui, cela faisait exactement un an. Un an jour pour jour. Et j’espérais bien pouvoir enfin comprendre.
Je suis arrivée dans l’ancienne demeure Ioannis exactement à la même heure qu’il y a un an. Seulement aujourd’hui, elle était vide. Du moins, plus personne ne la fréquentait. C’était une résidence secondaire inhabitée. La porte était fermée à clé mais j' avais gardé le double, celui que Kostos m' avais offert. C’est donc en tremblant légèrement que j'ai pénétré à l’intérieur. Ça sentait le renfermé. Personne n’avait du venir ici depuis très longtemps. Ou alors personne n’avait pensé à aérer. Avec la faible lueur du jour qui faiblissait, j’ai trouvé l’interrupteur. Avec une espèce de prière muette, j’ai appuyé dessus et constaté avec un plaisir non dissimulé que celui-ci marchait encore. La maison s’éclaira me laissant tout le loisir de l’observer. Rien n’avait changé. Tout était exactement au même endroit, comme dans mes souvenirs. J’ai commencé à errer dans la maison comme si revenir ici pourrait m’aider à me souvenir. En passant, j’ai allumé la chaine, Kate Voegele combla le silence pesant qui s’était installé déversant sa complainte dans toute la maison. C’était la dernière chose dont je me souvenais. Je me suis assise sur un fauteuil et j’ai fermé les yeux. Cette place, cette musique, cette odeur, je me souvenais, tout me revenait. J’ai ouvert les yeux et Stamos était avachi dans le fauteuil d’en face. J’ai dégluti avec difficulté tout en essayant de rester calme. C’était impossible. Il était mort, mort. J’avais vu son cadavre à la morgue, on me l’avait répété des centaines de fois.
« Qu’est ce qu’il y a Elek, on dirait que tu as vu un fantôme ! » Mon Dieu. J’ai fermais les yeux et les ai serré le plus possible pour me rendre compte en les ouvrant qu’il n’avait pas disparu. Pire, Kostos était apparu, assis exactement à la même place qu’il y a douze moi, c'est-à-dire entre mes jambes.
J’ai paniqué légèrement mais j’ai réussi à garder la tête haute. Ce devait être une sorte de transe. J’avais du m’endormir et tout me revenait enfin. Voila, c’était ça. Il fallait que je reste calme, maitre de mes moyens.
« Ca va pas ma chérie ? » Kostos s’était relevé et a fait en sorte que je fasse de même pour que je puisse m’assoir sur ses genoux. J’ai eu toutes les peines du monde à garder mon sang froid.
« Si si. » Pourquoi est ce que je ne pouvais pas tout simplement revivre la scène le l’extérieur ? Comme un observateur plutôt que de revivre chaque instant. De me souvenir de la chaleur du souffle de Kostos dans mon cou, de l’odeur familière des frères Ioannis, de cette chaleur humaine qu’ils m’apportaient tout les deux. Avec eux, j’étaient bien, enfin entière. Je ne m’étais pas sentie aussi heureuse depuis très longtemps. Et de savoir que cette sensation n’était qu’un leurre m’empli de désespoir. Mes larmes se sont mises à couler avant même que je m’en aperçoive et ils étaient déjà tout les deux près de moi, à me réconforter sans même savoir pourquoi. Kostos me serrait dans ses bras et Stamos était venu s’assoir sur l’accoudoir et avait posé sa tête sur mon épaule. C’est lui qui parla en premier, brisant le silence religieux qui avait progressivement empli la pièce.
« Tu ne la rend pas heureuse Kostos. Regarde là. Il y a trente seconde elle riait aux éclats et maintenant elle pleure. Qu’est ce que tu lui as fait ? » Sur le moment je suis resté sans voix. De quoi parlait-il ? Qui avait fait quoi ? Et pourquoi reprochait-il un truc pareil à son frère. Ce qui n’était d’ailleurs même pas vrai. Kostos se leva me déposant sur le fauteuil et prit place devant son frère qui s’était relevé. Je n’aimais pas vraiment la tournure que prenait la situation.
« Elle est à moi d’accord. On en a déjà discuté et nous sommes tombés d’accord. Si je t’ai invité c’est parce qu’elle prend plaisir à ta compagnie. Mais ne pousse pas ta chance trop loin. Je pourrais vite changer d’avis. » Mon Dieu. Ils étaient … Ils étaient en train de se battre pour … moi. C’était moi la cause de tout cela alors. Au final je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même pour cette année de solitude extrême. Ils continuaient à parler pendant que je m’enfonçais dans mon désespoir. Le coup de poing que Stamos asséna à mon petit ami me fit revenir à la réalité. Ou plutôt à cette sorte de … Peut importe son nom. Je me suis immédiatement levé.
« Non mais ça va pas ! T’es complètement malade. Pourquoi t’as fait ça ? » Je me suis précipitée vers Kostos qui essuyait le sang de son nez avec sa chemise. Il me plaça derrière lui et prit un air féroce que je ne lui avais jamais vu.
« PARCE QUE JE T’AIME ELEKTRA . JE T’AIME ET TU NE T’EN RENDS MEME PAS COMPTE. » Désormais, il pleurait de rage, ou de désespoir, je n’aurais su vraiment le dire.
Je suis resté debout, la bouche ouverte à fixer cet homme qui ressemblait traits pour traits à l’homme que j’aimais. Ils étaient jumeaux, de ces jumeaux que peu de personnes arrivent à distinguer. Sans savoir vraiment pourquoi, je ne les avais jamais confondus, encore moins après en avoir choisi un. A moins que … Une fois, une seule fois j’avais eu un doute. On s’était disputé avec Kostos. Cela faisait une semaine que nous ne nous étions adressé la parole et il avait fini par venir me voir. J’étais trop heureuse de le voir pour me poser des questions. Cette nuit là se trouvait être notre première fois. Le lendemain, quand je l’avais retrouvé, il paraissait ne pas vraiment comprendre mais n’avait pas posé de question. Et si c’était … Je me suis avancé de manière à me retrouver entre les deux. Mon regard allait de l’un à l’autre jusqu’à ce que je comprenne. J’avais couché avec Stamos. Je me suis mordue la lèvre et ma main s’est automatiquement portée à ma bouche. OHMONDIEU. Le regard plein de larmes, je me suis tourné vers Kostos. Il devait savoir lui, depuis longtemps. Pourtant, il ne m’avait jamais rien reproché. Jamais. Il avait compris que j’avais fait le rapprochement et s’est avancé vers moi. Instinctivement, j’ai reculé d’un pas et me suis trouvé beaucoup plus proche de Stamos que je ne l’aurais voulu. Il m’a alors attrapé par le coude pensant surement que je l’avais choisi. Il m’a serré contre lui et j’ai mis quelques secondes à sortir de ma torpeur. Immédiatement je me suis débattue pour qu’il me lâche mais il a serré plus fort et m’a forcé à le regarder dans les yeux
« Tu peux me choisir Elektra, il n’y a pas de mal à ça. Tout les deux, on peut vivre heureux. J’ai envie de vieillir avec toi. Quand tu n’es pas là, je ne pense qu’à toi. Tu hantes mon esprit jour et nuit. Te voir dans les bras de mon frère me rend plus malheureux que tu ne pourrais le croire. Je t’aime. Et je t’aimerais toujours. Alors choisi moi. La nuit que nous avons passée était merveilleuse, elle peut devenir notre quotidien si tel est ton choix. » Sur le coup j’étais tellement choquée par ses propos que je me suis arrêtée net de gesticuler. Prenant encore ça pour un oui sans doute, il s’est approché de moi et m’a embrassé. Profitant de cet instant de faiblesse, je me suis libérée de son étreinte et l’ai giflé le plus violemment possible. Il est resté sans voix quelques secondes, et quand il a relevé la tête, ses yeux … Ses yeux étaient devenus deux abimes de tristesse et de haine. Il m’attrapa violemment et me propulsa contre l’armoire familiale. Je n’ai pas eu le temps de me relever qu’il était déjà sur moi, son frère sur les talons.
« Si je ne peux pas t’avoir Elektra, personne n’aura cette chance. » Le peur m’a envahit au moment où il a levé la main sur moi. J’ai fermé les yeux et j’ai senti quelque chose de lourd tomber sur mon corps avachi au sol. J’ai ouvert les yeux et senti quelque chose de visqueux descendre le long de mon ventre. La première chose que j’ai vu c’est un couteau ensanglanté. Kostos, qui le tenait s’est laissé choir au sol et du coup j’ai baissé les yeux. Et je l’ai vu. Un énorme trou dans sa poitrine. Il était là, dans mes bras, les yeux ouverts complètement inertes, vides. C’est à ce moment là que j’ai crié.
J’ai crié et je me suis retrouvé aujourd’hui, dans cette maison. Kostos était devant moi. Il avait du sentir que je viendrais et d’une manière ou d’une autre avait surement voulu être là. Il était si prêt de moi que je me suis immédiatement reculée jusqu’à sentir le mur dans mon dos. Mes joues étaient trempées, j’avais l’impression que mon cœur allait exploser tant il battait rapidement.
« J’ai toujours cru que tu faisais semblant. Pour me protéger. J’ai cru que c’était pour ça que tu avais rompu avec moi. Que tu voulais partir loin avec Jukebox. J’ai cru que tu voulais t’éloigner de moi. De ce souvenir. Mais en réalité, tu ne te souvenais vraiment pas. Jusqu’à aujourd’hui. » J’ai hoché la tête et l’ai regardé approcher sans rien dire.
« Si j’avais su, j’aurais surement essayé de te retenir. Je croyais que tu me haïssais. Oh Elektra. » Il était assez proche pour me rendre dans ses bras et c’est exactement ce qu’il a fait. Il a enfoui sa tête dans mes cheveux pour respirer mon odeur. Je n’ai pas bougé d’un cheveu. Je ne savais pas quoi penser. C’était trop tôt. Je venais juste de me souvenir, et tout ce que je pensais c’est qu’un meurtrier se tenait dans mes bras. Il l’avait fait pour me sauver la vie mais en cet instant, cela ne comptait pas. Je l’ai repoussé et il s’est laissé faire.
« Je suis désolée mais je ne peux pas faire ça » Et je suis partie en courant. Alors que j’essayais d’ouvrir la porte de ma voiture, il cria simplement
« Je t’attendrais Elektra, je t’attendrais. » Le lendemain, je partais avec Jukebox faire le tour du monde. J’espérais pouvoir réfléchir calmement. Je n’avais pas pensé le moins du monde qu’il serait là aussi, pour me reconquérir. Après tout, il avait tué son frère pour me sauver la vie, il avait bien le droit d’espérer quelque chose en échange.
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Mar 23 Fév - 22:26
